"Quand même"
PARADIS MERITE
par Pierre FRANCOIS
Moment de vérité amoureuse entre une comédienne et le public, "Quand même" est une pièce d'exception.
Quand même est une pièce rare, une comme on en voit trois dans l'année. D'autant plus rare qu'elle parle de théâtre. Le plus souvent ce genre de spectacle est au mieux narcissique, au pire pour initiés, comme Caubère l'a encore fait récemment. Rien de tout cela ici. Certes, il faut monter trois étages, dont le dernier en colimaçon, pour se retrouver dans une petite salle sous les toits, carrée avec trois rangées de gradins confortables contre deux des côtés, la scène occupant le reste. Mais la coïncidence est heureuse, qui a nommé cette salle Paradis (ce qui, soit par parenthèse, est quand même plus joli que poulailler)
Cinq minutes de frémissements précèdent le début du spectacle, lorsque les techniciens montent à vue un décor fait de tubes rouges aux angles vifs devant un fond uniformément noir. On se demande alors dans quelle expérimentation on est encore tombé. Et puis non, dès que la comédienne ouvre la bouche, elle nous embarque dans son monde, le monde du spectacle vu du côté du plateau.
On est d'autant plus vivement et immédiatement conquis qu'on ressent quasi charnellement l'amour de la comédienne pour son public. Elle dit je et on oublie complètement qu'il s'agit du texte écrit par une autre. En une phrase elle pose le décor et l'ambiance d'une tournée dans des villages corses, et on visualise tout ce qu'elle n'a qu'esquissé.
Quand elle fait parler le public, on entend ce que disent tant de gens de notre entourage. Quand elle parle en tant qu'actrice, on sent une pédagogie exempte de toute condescendance. Même les mouches s'arrêtent de voler pour l'écouter parler de la représentation qui n'est rien sans public et techniciens, du chômage qui n'est pas inactivité mais gestation du futur éclairée par les doutes sur le travail passé, du jeu comme devant être un texte faisant irruption dans la vie d'un comédien et non, comme le font les débutants, une vie qui se donne à un texte et à un rôle.
Mais il y a encore le temps, aboli puis reconstruit dans un cadre où les spectateurs voient un trône en lieu et place d'une chaise de cuisine, parce que le comédien a su interpeller leurs imaginaires. Ou la liberté et l'émotion qu'offrent la représentation à tous, hommes libres comme bourreaux ou bagnards, qui tous vont vibrer, pleurer, rire parce qu'ils ont été rejoints à leur intime. Tout cela est dit avec tant de vérité, de tendresse, de délicatesse aussi, qu'on en frissonne encore...
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