Quand même : le pari du miroir
par Geneviève Dahan-Seltzer, sociologue,
L’actrice entre en scène pour un monologue qu’elle adresse à tous : aux spectateurs, bien sûr, mais d’abord à elle même, sans oublier les personnages qu’elle a incarnés et qui l’habitent pour toujours..! Les chants des femmes du Piémont réactivent ses souvenirs d’enfance, la figure du père, aussi beau qu’un acteur de cinéma, la mère recluse, … Que dit-elle ? Elle dit comment la petite fille amoureuse des mots a construit sa trajectoire, quelles rencontres ont présidé à ces choix, quels sont ses rêves d’actrice et ses angoisses qui la font tenir debout, si fragile et si droite, là …devant nous. Elle dit d’où lui vient ce désir de théâtre, cet accès à une vérité au-delà du réel, qui donne à voir et entrevoir d’autres espaces-temps.
Elle entraîne les spectateurs dans sa méditation, la qualité du silence qui règne dans la salle en témoigne. Effet –miroir du théâtre, j’écoute l’actrice et je me questionne sur la pièce que je me joue depuis si longtemps, avec la société comme spectacle, je confronte mes engagements, ai-je répondu au désir de mon père, bel étranger si tôt et si durement disparu, à celui de ma mère, le contraire d’une recluse, une militante, et comme décor toujours si loin si proche, le village de l’enfance chaleureux et clos à la fois.
Je laisse là la sociologue et son encombrant sujet. Que dire à l’actrice après la séance qui s’est livrée? Que le théâtre une fois encore nous renvoie à la « société des individus » ! Que les récits de vie deviennent une matière sociale, que dans ce monde en perte de repères, l’individu hypermoderne doit construire sa trajectoire et lui donner sens, qu’il lui appartient d’être l’acteur de soi et de se mettre en scène pour se sentir exister.
Oui, l’acteur devient un référent, l’acteur et sa capacité à jouer plusieurs rôles, modèle de flexibilité ! L’acteur et ses intermittences….
L’actrice et l’auteur ont joué le jeu contemporain, l’auteur a interviewé l’actrice, elle est entrée dans sa chair et dans son être, elle a mis en mots et en danse, sa ténacité et sa fragilité, elle y a mis toute sa force pour mettre à nu le sujet, celui de l’actrice mais aussi le sien, elle en a besoin pour dire-- elle aussi -- pourquoi elle écrit pour le théâtre.
Et à nous spectateurs maintenant d’entrer dans le jeu, sinon pourquoi venir au théâtre ?
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